Crédit: Fulbert ADJIMEHOSSOU

Décès maternels : Promouvoir des solutions intégrées

Les causes des décès maternels ne doivent pas être exclusivement attribuées à la qualité des systèmes de santé en Afrique subsaharienne. Des pratiques influencées par les perceptions sociales et culturelles exigent l’attention des décideurs et des acteurs de la santé pour des mesures harmonieuses.

Nouvelle naissance à l’hôpital / Photo de Jozemara Friorili Lemes via pexels

« Donner la vie est un voyage à travers l’inconnu »

C’est un secret de polichinelle. Dans certaines régions du Bénin, le suivi d’une grossesse ne se limite pas aux seules consultations biomédicales. En effet, l’oracle appelé « Fâ », joue un rôle crucial dans ce processus. Il détermine les meilleures conditions pour que la femme puisse accoucher et être réintégrée dans sa famille.

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« La dernière consultation de fin de grossesse s’appelle « afo djèté Fâ » ( afo  = pied, djèté  = descente, Fâ  = oracle). C’est une sorte de consultation post-accouchement pour remercier les dieux. Les conditions idéales d’accouchement peuvent nécessiter des thérapies. Lesquelles sont directement pratiquées par voie sanguine (scarification) ou par voie orale (tisanes) », explique Armelle Vigan, sociologue de la santé au Centre de Recherche en Reproduction Humaine et en Démographie (CERRHUD).

Armelle VIGAN, sociologue de la santé

En réalité, Armelle Vigan est l’auteure d’une publication parue en octobre 2023 dans la revue « Sexual and Reproductive Health Matters ». Cet article fait suite à une étude menée à Allada à 50 km de Cotonou.

« Nous avons exploré les perceptions et pratiques qui pourraient expliquer ce taux élevé de mortalité maternelle et infantile malgré des accouchements fréquents dans les centres de santé. Nous avons également mis en évidence les soins inspirés des religions vodoun, chrétienne ou musulmane, utilisés en complément des soins biomédicaux à différentes étapes du parcours de soins de santé sexuelle et reproductive dans la vie des femmes », fait savoir la sociologue.

Des pratiques inspirées des religions

Cette publication scientifique est un récit édifiant sur la manière dont les croyances au sud du Bénin influent sur les pratiques de recours aux soins de santé sexuelle et reproductive y compris d’accouchement. Par exemple, la communauté dans laquelle l’étude a été menée, considère le premier trimestre de la grossesse comme une période où il faut être discret pour ne pas s’attirer des regards malveillants. C’est une perception qui, selon la sociologue, est inspirée par les logiques spirituelles locales qui ne favorise pas la mise en œuvre des recommandations inspirées par les logiques biomédicales.

Pourtant, les consultations prénatales doivent déjà démarrer au premier trimestre. Cela amène à considérer que l’être humain est complexe, et son équilibre nécessite diverses approches pour traverser toutes les étapes de la vie. Par exemple, dans la communauté où nous avons mené l’étude, on voit la vie comme un cycle. L’enfant naît, grandit, vieillit, meurt, et le cycle recommence, donc le principe de « Djoto », une sorte de réincarnation.

Cérémonie de sortie des jumeaux réincarnés, le 31 janvier 2024. Crédit photo : Marina HOUNNOU ( avec accord pour publication)

Dans une perspective où le nouveau-né est perçu comme la réincarnation d’un ancêtre, des rites et des organisations sociales sont nécessaires pour l’accueillir. Ces croyances modèlent et orientent le comportement de soin. D’autres types de soins sont uniquement prescrits et sont auto-administrés, comme le recours aux ceintures traditionnelles. Cette ceinture est utilisée pour éviter une fausse couche.

« Au moment de l’accouchement, la parturiente doit s’en débarrasser pour un accouchement naturel. Au cas contraire, ce n’est qu’une césarienne que l’issue de la grossesse connaîtra. D’autres croyances religieuses ont aussi leurs pratiques. Tous ces facteurs influent sur le résultat final : la naissance de l’enfant ».

Quelle alternative ?

La situation est telle que les prestataires de soins biomédicaux en sont conscients, et combinent leurs connaissances avec des pratiques alternatives basées sur leurs expériences, la religion et la foi.

« Des sages-femmes dans les établissements sanitaires offrent des soins spirituels, comme prier avec la femme et sa famille. Elles identifient parfois les femmes anxieuses et les accompagnent avec des conseils et des prières », souligne Armelle.

C’est une raison pour que les programmes et les politiques visant à réduire la mortalité maternelle au Bénin envisagent des processus sensibles à l’existence des logiques et des pratiques de soins alternatives et spirituelles.

« Nous ne préconisons pas un recours inconditionnel à ces pratiques. Cependant, il est crucial de ne plus faire comme si elles n’existent pas. Pendant le travail d’accouchement par exemple, des proches parents donnent des tisanes ou des potions à la femme enceinte, mais elles n’admettent les avoir prises auprès des agents de santé que lorsqu’il y a des complications. Il est important d’instaurer la confiance chez ces femmes pour qu’elles communiquent les mesures prises à domicile avant de venir à l’hôpital », dévoile la Sociologue.

La mortalité maternelle atteint des niveaux inacceptables, en Afrique subsaharienne. En 2020, environ 70 % des décès maternels (202 000) dans le monde y ont été enregistrés. Au delà du Bénin, il faudra travailler à changer les comportements pour éviter que ces pratiques inspirées par les religions ne mettent pas en danger les efforts pour réduire la mortalité maternelle et infantile.

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Auteur·e

fadjimehossou

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