Crédit: Crédit Photo ; Fulbert ADJIMEHOSSOU, Octobre 2022

Bénin : Cette thèse dévoile l’état de santé du Lac Ahémé

Au Bénin, le lac Ahémé et ses chenaux, situés au sud du pays, fournissaient plus de 30 % de la production halieutique continentale. Mais l’écosystème est soumis à diverses pressions qui le conduisent vers l’eutrophisation. Des opérations de dragage pilote ont été lancées. La thèse soutenue par Christian Comlan Viaho le 21 octobre 2022 a le mérite d’être une étude de référence qui renseigne sur l’état de santé du plan d’eau.

Capture d’écran Google Maps

« Qu’il est gai de voguer sur le lac Ahémé, quand le temps est serein, fredonnant des refrains. Les pêcheurs enjôlés, déploient leurs filets, entonnent des chansons, capturent les poissons ». Ces notes, écrites au lendemain des indépendances, proviennent du poète et guitariste Gustave Gbénou Vikey.

Malheureusement, le décor n’est plus le même sur ce plan d’eau. La thèse de Christian Comlan Viaho soutenue publiquement le 21 octobre 2022 devant un jury international présidé par Professeur Émile Didier Fiogbé vient confirmer les craintes. Ce cadre de l’Agence pour le Développement intégré de la zone économique du lac Ahémé et ses chenaux (Adelac) est un passionné de la science.

Nos chemins se sont croisés sur les rives du lac Ahémé, il y a 5 ans. Sa bonne maitrise de l’écosystème et son ouverture d’esprit m’ont été très bénéfiques. Le voir défendre brillamment sa thèse couronnée d’une mention très honorable avec les félicitations du jury n’est guère étonnant.

Une thèse de plus sur le lac Ahémé ?

Le gouvernement du Bénin a lancé en janvier 2022 les travaux de dragage pilote du carrefour critique de Djondji-Houncloun du Lac Ahémé et de ses chenaux. C’est la première phase d’un vaste projet qui permettra de réhabiliter en définitive l’ensemble du complexe fluvio-lagunaire dont la superficie s’étend sur 100 km2. Beaucoup de choses vont alors changer les prochaines années.

Dr Christian Viaho, auteur de la thèse sur « Écologie et Exploitation des principales espèces de l’ichtyofaune du lac Ahémé et de ses chenaux au sud-ouest du Bénin avant le dragage », Crédit Photo : Fulbert ADJIMEHOSSOU

Il fallait bien avoir un repère scientifique susceptible d’aider à apprécier les impacts. « Nous avons accompagné ce travail pour nous donner un repère, nous assurer de comment les espèces halieutiques se comportent avant que nous ayons débuté les opérations de dragage. Cette thèse de Christian Viaho est un document de référence. il nous servira à faire l’évaluation une fois que le dragage sera complètement réalisé « , apprécie Martin Gbèdè, directeur général de l’Adelac.

La thèse a pour thème : « Écologie et Exploitation des principales espèces de l’ichtyofaune du lac Ahémé et de ses chenaux au sud-ouest du Bénin avant le dragage ». L’étude a été conduite de septembre 2015 à octobre 2021. Elle vise à contribuer à de meilleures connaissances et gestion de ces écosystèmes aquatiques.

Méthodologie

La zone d’étude comprend le lac Ahémé, le chenal Ahô, le canal de Tihimey, les lagunes côtières de Grand-Popo et de Ouidah qui forment avec les fleuves Mono et Couffo le site Ramsar 1017. Le nouveau docteur en Aménagement et Gestion des Ressources naturelles, spécialisé en Aménagement des Pêches et Aquaculture a procédé à la caractérisation physico-chimique du milieu. Des échantillons de poisson ont été collectés à partir des captures des pêcheurs. Tout ceci a été appuyé par une pêche expérimentale chaque année avec une batterie de filets maillants dont les mailles sont comprises entre 5 mm et 25 mm.

Le lac Ahémé riche de 76 espèces de poisson

Le lac Ahémé et ses chenaux forment un complexe très riche en diversité ichthyologique. En effet, les travaux ont permis d’avoir une idée précise du peuplement. « Au total, nous avons enregistré 76 espèces de poisson, réparties dans 59 genres, 38 familles et 14 ordres ont été recensés. 41 espèces sont estuariennes, 20 espèces sont d’origine marine et 15 sont des espèces d’eau douce », Dr Christian Viaho.  

Quelques espèces de poissons retrouvées dans le lac Ahémé et ses chenaux, Crédit Photo : Christian VIAHO

Cette richesse représente 34,39 % de l’ensemble de la faune ichtyologique connue du Bénin, qui est de 221 espèces, selon les travaux menés par d’éminents chercheurs, dont le Professeur Brice Sinsin, directeur du Laboratoire d’Ecologie Appliquée de l’Université d’Abomey-Calavi.

La lagune de Grand-Popo vient en tête avec plus de 64 espèces. Cela s’explique par le fait que cette lagune reçoit des espèces d’eau douce provenant du fleuve Mono et des espèces marines provenant de l’embouchure. « Cela améliore significativement la richesse spécifique de la lagune de Grand-Popo », explique Dr Christian Viaho.

C’est également la même situation avec le lac Ahémé qui reçoit des espèces d’eau douce du fleuve Mono et des espèces marines à travers le chenal de Aho.

Malheureusement, la plus faible richesse spécifique a été obtenue au niveau de la lagune de Ouidah. « Ce plan d’eau devrait être en connexion avec le lac Nokoué par le pont de Djonou à Godomey. Mais cette zone a été occupée par des infrastructures. La connexion n’existe plus pratiquement », déplore-t-il.

De même, entre les lagunes côtières et le chenal Aho, il y a eu comblement. « C’est ce qui justifie la volonté du gouvernement de commencer le dragage pilote par cette zone pour limiter ce désastre écologique », ajoute le chercheur. 

Fortes pressions sur le plan d’eau

Les résultats ont montré que les eaux sont caractérisées par une conductivité variant de 0 à 46,5 mS/cm. La salinité est comprise entre 0 et 28,3 g/L. La teneur en oxygène dissout se situe entre 0 et 8,55 mg/L avec une profondeur allant de 0,4 à 8 m. Le risque d’eutrophisation est élevé à certains endroits du plan d’eau.  

« La salinité est le principal facteur de distribution des espèces de poissons dans la zone d’étude. Ainsi, 54% des espèces récoltées sont estuariennes, 26 % sont des espèces d’eau douce et 20 % sont d’origine marine », précise-t-il dans sa présentation.

La thèse dirigée par le Professeur Philippe Lalèyè signale une faible connectivité entre les plans d’eau du fait du comblement, provoqué par l’érosion des berges, les mauvaises pratiques de pêche et le mauvais dimensionnement des infrastructures de franchissement.  86% des engins utilisés sont constants, 14 engins sont accessoires. Les acadjas constituent un blocage pour la libre circulation des poissons. « Nous avons analysé les mailles des filets utilisés par les pêcheurs. Et nous avions constaté que le filet utilisé pour la pêche des crevettes est de 2 millimètres », fustige le chercheur.

Vue patielle des membres du jury, Crédit Photo : Fulbert ADJIMEHOSSOU

Cette surexploitation des ressources et la pollution créent un environnement stressant pour les poissons. Par exemple, le stock de Sarotherodon melanotheron dans le lac Ahémé et ses chenaux est surexploité. Quant à Ethmalosa Fimbriata, son stock reste encore non surexploité. Néanmoins, le renouvellement dudit stock (biomasse) est inférieur à la perte par mortalité. Donc, l’état d’exploitation rationnelle de cette espèce n’est qu’apparent et peut changer rapidement en surexploitation. « Pour ces deux espèces, la première reproduction n’a pas eu lieu avant qu’on les pêche. C’est une situation qui menace l’existence de l’espèce », regrette Christian Viaho.

Vers un musée de poisson ?

En réalité, les spécimens de poisson sont fixés automatiquement sur le terrain dans des bocaux contenant du formol à 10% pour la conservation. A cet effet, la collection se trouve à l’Adelac qui a en perspective la création d’un musée. « Cette thèse nous a permis de constituer un stock de toutes les espèces qui ont été identifiées dans ce plan d’eau. Ça va servir de pièces pour constituer le musée de l’eau que nous avons envisagé », souligne Martin Gbèdè, directeur général de l’Adelac.

Cette thèse a abouti à plusieurs recommandations adressées aux décideurs. Ainsi, le chercheur souhaite, entre autres, que le Ministère du cadre de vie et du Développement (Mcvdd) durable poursuive la réhabilitation par dragage. Cela permettrait, dit-il, de créer des conditions de reproduction, de croissance et de développement des ressources halieutiques.

La direction de la production halieutique devra créer des zones de réserves biologiques afin d’assurer le repeuplement des plans d’eau en poisson. De même, sont souhaités, le reboisement massif pour freiner l’érosion des berges, et l’organisation de campagnes de collecte de données physico-chimiques pendant les opérations de dragage dans le cadre du suivi du plan d’eau. « Ça fait plaisir de voir le monde scientifique que nous sommes en train de faire. C’est un travail scientifique et de développement que nous allons énormément exploiter », rassure Martin Gbèdè. Ainsi, peut-être là, d’ici quelques années, il sera à nouveau gai de voguer sur le lac Ahémé.

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Auteur·e

fadjimehossou

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